par Aurélie ARNAUD - Cabinet 2A avocat
Avocat en droit du travail Paris 8
Dans un arrêt du 12 juillet 2022 (n°20-22857 F-D), la Cour de Cassation juge qu'un employeur ne peut pas reprocher une faute grave à un salarié auquel des faits de harcèlement moral sont imputés, lorsque ses méthodes managériales étaient connues, menées en concertation avec la hiérarchie et encouragées.
Tout salarié se rendant coupable de harcèlement moral est passible d’une sanction disciplinaire.
Ainsi, le salarié qui harcèle un de ses collègues commet une faute que l’employeur, tenu à une obligation de sécurité à l’égard de la victime, doit faire cesser en faisant usage de son pouvoir disciplinaire. Mais quel est le degré de gravité d’une telle faute? Le harcèlement justifie-t-il systématiquement un licenciement? Le salarié harceleur peut-il se prévaloir de circonstances atténuantes qui seraient de nature à disqualifier la faute commise?
Ce sont ces questions qui étaient posées à la Cour de cassation dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 12 juillet 2022.
Le harcèlement constitue généralement une faute grave
La faute grave est celle qui, par son importance, rend impossible le maintien du salarié rdans l’entreprise (Cass. soc. 27-9-2007 no 06-43.867 FP-PBR : RJS 12/07 no 1261). Elle est généralement admise en matière de harcèlement moral (voir, par exemple, Cass. soc. 24-10-2012 no 11-20.085 F-D : RJS 1/13 no 7), mais pas systématiquement.
Pour pouvoir invoquer une faute grave à l’encontre d’un salarié coupable de harcèlement moral, l’employeur doit prouver la gravité des faits et l’impossibilité de maintenir le salarié dans l’entreprise. Or, selon la Cour de cassation, celle-ci ne découle pas automatiquement de l’obligation de prévention en matière de sécurité et de santé des travailleurs qui lui incombe (Cass. soc. 22-10-2014 no 13-18.862 FS-PB : RJS 1/15 no 5).
En d’autres termes, le contexte dans lequel a été commise la faute du salarié harceleur peut être pris en compte pour apprécier son degré de gravité. En cas de litige, cet élément de fait est laissé à l’appréciation souveraine des juges du fond, comme en témoigne la décision de la Cour de cassation du 12 juillet 2022.
Il a été jugé, par exemple, que la faute grave avait pu être écartée dans une espèce où l’auteur était lui-même victime de harcèlement moral (Cass. soc. 29-1-2013 no 11-23.944 F-D : RJS 4/13 no 259) ou subissait une forte pression de la part de son employeur (Cass. soc. 8-11-2011 no 10-12.120 F-D : RJS 1/12 no 8). Pour autant, l’ancienneté ou les bons résultats d’un salarié, qui sont souvent de nature à atténuer la gravité d’une faute, ne sont généralement pas retenus comme étant de nature à excuser un harcèlement (voir notamment Cass. soc. 28-6-2006 no 05-40.990 F-PB : RJS 11/06 no 1144).
Des méthodes managériales connues de l’employeur…
Dans cette affaire, un salarié, employé en qualité de directeur des systèmes d’information est licencié pour faute grave. L’employeur lui reproche notamment un comportement irrespectueux, des faits de harcèlement moral à l’égard d’une subordonnée, et l’instauration d’un climat de tension et de peur «avec une volonté affichée d’éliminer l’ancienne équipe au profit de collaborateurs embauchés par lui-même».
Le salarié conteste cette décision, considérant que son employeur, informé de ses méthodes managériales, ne les aurait pas réprouvées. Au contraire, il aurait été appuyé dans ses décisions par sa hiérarchie.
En appel, les juges du fond lui donnent raison et considèrent que les faits ne constituaient ni une faute grave, ni même une cause réelle et sérieuse de licenciement.
En l’espèce, le débat ne portait pas sur la question de savoir si les méthodes managériales en cause étaient ou non constitutives d’un harcèlement moral. Il s’agissait de savoir si l’attitude du salarié justifiait son licenciement immédiat et sans indemnités de l’entreprise. On peut penser que si la salariée victime devait attaquer son employeur en justice pour voir reconnaître l’existence de faits de harcèlement, le juge prud’homal, s’il lui donnait raison, pourrait retenir la responsabilité de l’employeur pour ne pas avoir mis en œuvre son obligation de prévention en matière de sécurité et de santé des salariés.
…excluent d’imputer une faute grave au salarié en cause
L’analyse des juges du fond est approuvée par la Cour de cassation. En effet :
- les méthodes managériales du salarié en cause étaient connues de l’employeur et n’avaient pas été réprouvées par sa hiérarchie,
- il avait régulièrement partagé ses constats avec sa hiérarchie et conduit un processus de réorganisation en lien avec elle,
- l’employeur avait défendu les décisions qu’il avait prises.
En conséquence, le comportement du salarié était bien le résultat d’une position managériale partagée et encouragée par l’ensemble des supérieurs hiérarchiques. Les juges du fond pouvaient donc écarter la faute grave, et considérer que les faits n’étaient pas de nature à justifier la rupture du contrat de travail.
Ainsi, pour la Cour de cassation, l’employeur ne peut pas, après avoir approuvé et encouragé les pratiques managériales du salarié, lui reprocher ensuite une faute grave.
La solution se place dans le droit fil de la jurisprudence «classique» de la Cour de cassation selon laquelle le juge, pour apprécier le caractère réel et sérieux d’un licenciement, peut prendre en considération le comportement antérieur de l’employeur (Cass. soc. 16-11-2005 no 03-43.316 FS-P : RJS 2/06 no 178). L’accord ou la tolérance de l’employeur sur les pratiques reprochées à un salarié sont de nature à avoir une incidence sur la réalité ou la gravité de la faute commise (Cass. soc. 19-10-1994 no 92-44.010 D). En outre, l’employeur ne peut pas se prévaloir comme d’une faute grave de faits connus de lui et qu’il a tolérés pendant plusieurs mois, voire plusieurs années (Cass. soc. 15-1-2014 no 12-26.951 F-D : RJS 3/14 no 205; Cass. soc. 21-6-2018 no 16-25.500 F-D : RJS 10/18 no 598).
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