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par Aurélie ARNAUD - Cabinet 2A avocat
Avocat en droit du travail Paris
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La notion de harcèlement moral est régulièrement utilisée par certains salariés sans que ceux-ci connaissant véritablement sa définition juridique.
Or, la situation vécue doit répondre à une définition précise pour recevoir la qualification de harcèlement moral. Cette notion obéit en outre à des rè!gles de preuve dérogatoires.
Ainsi, la qualification juridique est loin d’être sysrématiquemenr reconnue en justice devant le Conseil de Prud'hommes.
Faisons le point.
Le harcèlement moral est constitué par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité, d’altérer la santé physique ou mentale, ou de compromettre l’avenir professionnel, selon l’article L. 1152-1 du Code du travail.
L’exigence de répétition des actes n’est assortie d’aucune condition de durée.
La dégradation des « conditions de travail » s’entend largement (au-delà des seules conditions matérielles), couvrant le respect de la personne, la considération du travail accompli et l’organisation du travail.
Des méthodes de gestion (« harcèlement managérial ») peuvent caractériser le harcèlement moral si elles se traduisent, pour un salarié déterminé, par des agissements répétés dégradant ses conditions de travail au sens de l’article L. 1152-1 du Code du travail.
Aménagement légal de la charge de la preuve : le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement (L. 1154-1), puis il incombe à l’employeur de prouver que les agissements ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement (art. L. 1154-1 du Code du travail).
Le juge doit examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié (y compris les documents médicaux), apprécier s’ils permettent de présumer un harcèlement, puis, si tel est le cas, contrôler la preuve contraire de l’employeur ; sous réserve du respect de cette méthode, l’appréciation des juges du fond est souveraine (arrêts 2008, 2012, 2016, 2020 ; décisions plus anciennes que deux ans) (Cass. soc., 24 sept. 2008, n° 06-45.747; Cass. soc., 6 juin 2012, n° 10-27.766; Cass. soc., 8 juin 2016, n° 14-13.418; Cass. soc., 9 déc. 2020, n° 19-13.470).
Le salarié doit établir la matérialité de « faits précis et concordants », appréciés dans leur ensemble, le juge ne pouvant pas les analyser isolément (Cass. soc., 25 janv. 2011, n° 09-42.766; Cass. soc., 6 juin 2012, n° 10-27.766; Cass. soc., 16 oct. 2013, n° 12-14.211; Cass. soc., 11 févr. 2015, n° 13-23.001).
Exemples de faits: Courriels ou propos vexatoires répétés, mises en cause publiques, pressions et objectifs intensifs ayant entraîné stress ou troubles de santé, retraits de moyens, inscriptions humiliantes des tâches, isolement, ordres/contre-ordres, etc., appréciés dans leur ensemble (Cass. soc., 10 nov. 2009, n° 07-45.321] [Cass. soc., 3 févr. 2010, n° 08-44.107] [Cass. soc., 6 janv. 2011, n° 08-43.279] [Cass. soc., 21 mai 2014, n° 13-16.341] [Cass. soc., 8 janv. 2020, n° 18-22.055).
Exemples d’éléments à présenter : mails et messages d'alertes, attestations de collègues, comptes rendus d’entretien, preuves d’isolement ou de retrait de moyens, tableaux d’affectation dégradants, etc., le tout appréhendé globalement (Cass. soc., 10 mars 2021, n° 19-24.487).
L’enquête interne n’est pas forcément obligatoire. Tout dépend de ce que prévoient les textes applicables en interne.
Ayant fait ressortir, dans son appréciation souveraine des éléments de preuve qui lui étaient soumis, que l'employeur avait pris les mesures suffisantes de nature à préserver la santé et la sécurité de la salariée s'estimant victime de harcèlement moral, la cour d'appel a pu en déduire, nonobstant l'absence d'enquête interne, qu'il n'avait pas manqué à son obligation de sécurité. (Cass. soc. 12-6-2024 n° 23-13.975 FS-B, T. c/ Sté Eservglobal).
Mais en pratique, l’enquête est souvent l’outil privilégié.
Une enquête interne, même menée par la DRH et sans association des représentants du personnel, est un mode de preuve que le juge doit examiner, dès lors qu’elle n’a pas recouru à des moyens illicites ou déloyaux (Cass. soc., 8 janv. 2020, n° 18-20.151; Cass. soc., 1er juin 2022, n° 20-22.058).
La valeur probante d’une enquête interne peut être appréciée avec d’autres éléments, et son absence d’exhaustivité n’emporte pas nécessairement son rejet, pourvu qu’elle soit impartiale et loyale (Cass. soc., 29 juin 2022, n° 21-11.437).
Des décisions récentes de cour d’appel confirment que l’enquête ne peut être écartée au seul motif que le salarié mis en cause n’a pas été entendu ou confronté, l’exigence fondamentale étant la neutralité et l’impartialité des enquêteurs (CA Bordeaux, 5 mars 2025, n° 22/03240).
L’employeur doit prévenir et faire cesser le harcèlement ; il satisfait à son obligation s’il prouve avoir mis en œuvre toutes les mesures de prévention (L. 4121-1 et L. 4121-2) et, informé de faits susceptibles de constituer un harcèlement, avoir pris des mesures immédiates pour y mettre fin (Cass. soc., 1er juin 2016, n° 14-19.702).
Recommandations pratiques : politique écrite d’interdiction, information/formation, canaux d’alerte, enquête impartiale, mesures conservatoires.
L’ancienneté de certains faits n’exclut pas leur prise en compte si la répétition est caractérisée.
La bonne foi alléguée de l’employeur ou l’absence d’intention de nuire ne font pas obstacle à la qualification au civil si les effets caractérisent la dégradation des conditions de travail.
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2A avocat
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