Fondements juridiques de la liberté d'expression
1. Textes fondamentaux : la liberté d'expression est consacrée par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme ainsi que par la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen de 1789.
2. Droit du travail : l'article L. 1121-1 du Code du travail dispose que : "nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché". Cela signifie que l'employeur ne peut limiter la liberté d'expression du salarié que si ces limites sont strictement nécessaires et proportionnées.
3. Application jurisprudentielle : la jurisprudence a établi un cadre précis pour la liberté d'expression du salarié, stipulant que "sauf abus, le salarié jouit dans l'entreprise et en dehors de celle-ci de sa liberté d'expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées" (Cass. soc., 22 juin 2004, n° 02-42.446).
Étendue de la liberté d'expression
Le salarié peut librement exprimer ses opinions, y compris sur des sujets liés à l'organisation du travail, sous réserve de respecter certaines obligations :
1. Dans l’entreprise : le salarié a le droit de critiquer les conditions de travail, les décisions managériales ou l'organisation de l'entreprise. Le salarié jouit, dans l'entreprise et hors de celle-ci, de sa liberté d'expression, sous réserve de respecter ses obligations de discrétion et de loyauté.
2. En dehors de l’entreprise : la liberté d'expression s'étend également à la sphère privée du salarié. Ainsi, des critiques émises en dehors de l'entreprise, par exemple sur les réseaux sociaux ou dans un cadre privé, relèvent également de cette liberté, sous réserve de ne pas franchir les limites de l'abus.
3. Liberté artistique : la liberté d'expression inclut également la liberté artistique, permettant au salarié de diffuser des œuvres tant qu'elles ne sont ni injurieuses, ni diffamatoires, ni excessives (Cass. soc., 23 juin 2021, n° 19-21.651).
Limites de la liberté d'expression : l’abus
La principale limite à la liberté d'expression est l'abus. La jurisprudence a établi plusieurs critères pour définir l'abus de ce droit :
1. Caractère injurieux, diffamatoire ou excessif : l'abus est caractérisé lorsque les propos tenus par le salarié sont "injurieux, diffamatoires ou excessifs" (Cass. soc., 27 mars 2013, n° 11-19.734). Ces qualificatifs sont appréciés au cas par cas par les juges, en fonction du contexte dans lequel les propos ont été tenus.
2. Manquement à l’obligation de loyauté : le salarié est tenu à une obligation de loyauté envers son employeur. Des propos visant à nuire intentionnellement à l'image ou à la réputation de l'entreprise peuvent constituer un abus.
3. Propos tenus sur les réseaux sociaux : la diffusion de propos sur des réseaux sociaux est également encadrée. Par exemple, des propos tenus dans un groupe restreint et fermé ne sont pas considérés comme abusifs (Cass. soc., 12 septembre 2018, n° 16-11.690).
4. Propos dénigrants ou mensongers : les accusations mensongères ou les propos dénigrants formulés avec une intention de nuire constituent également un abus (Cass. soc., 7 octobre 1997, n° 93-41.747).
Sanctions en cas d'abus
Un salarié qui dépasse les limites de sa liberté d'expression peut être sanctionné par son employeur, pouvant aller jusqu'au licenciement pour faute grave.
Toutefois, un licenciement motivé par l’exercice non abusif de la liberté d’expression du salarié est nul (Cass. soc., 16 février 2022, n° 19-17.871).
Conclusion
La liberté d'expression du salarié est un droit fondamental, mais encadré par des obligations de modération, de discrétion et de loyauté. Ce droit s’exerce tant dans l’entreprise qu’en dehors, sous réserve de ne pas en abuser. Toute restriction imposée par l’employeur doit être strictement justifiée et proportionnée au but recherché. Les juges veillent à concilier l'exercice de ce droit avec la protection des intérêts de l'entreprise, en sanctionnant les abus tout en garantissant l'effectivité de cette liberté fondamentale.