Une notion importée du droit pénal. Le « droit de se taire » évoque immédiatement les films policiers et la garde à vue : nul n’est obligé de contribuer à sa propre incrimination. Ce principe, consacré en droit pénal, s’accompagne d’une obligation d’information dès le début de la mesure. En revanche, le droit du travail n’est pas le droit pénal : l’entretien préalable à une sanction ou à un licenciement n’est ni une enquête ni un interrogatoire, mais une étape de procédure contradictoire dans une relation contractuelle.
Le cadre légal actuel
Deux articles du Code du travail encadrent ces entretiens :
- Article L. 1232-2 pour le licenciement ;
- Article L. 1332-2 pour la sanction disciplinaire.
Ces textes imposent à l’employeur de convoquer le salarié, d’indiquer l’objet de l’entretien et d’exposer les faits reprochés. Le salarié peut se présenter seul ou assisté, présenter ses observations ou remettre des écrits. Aucun de ces articles ne prévoit que l’employeur doive informer le salarié de sa faculté de garder le silence.
Un droit implicite mais bien réel
En pratique, rien n’oblige le salarié à répondre. Il peut garder le silence du début à la fin de l’entretien. Ce choix n’est pas fautif et ne vaut pas aveu. L’employeur doit toujours rapporter la preuve des manquements allégués, quelle que soit l’attitude du salarié pendant l’entretien.
La controverse juridique récente (2025)
- Cass. soc., 20 juin 2025, n° 25-11.250 : la Cour de cassation a jugé la question suffisamment sérieuse pour la transmettre au Conseil constitutionnel via une QPC, s’agissant de la conformité des articles L.1232-2 et L.1332-2 au respect des droits de la défense, faute d’information sur la possibilité de se taire.
- Conseil constitutionnel, déc. n° 2025-1160/1161/1162 QPC du 19 septembre 2025 : le Conseil a rejeté l’argumentation. Selon lui, les procédures de licenciement et de sanction disciplinaire ne constituent pas des sanctions ayant le caractère d’une punition au sens de l’article 9 de la Déclaration de 1789 ; l’absence d’information sur le droit de se taire n’est donc pas contraire à la Constitution.
Conséquence : pas d’obligation, à ce stade, pour l’employeur de notifier un « droit au silence » en entreprise.
Conséquences pour les salariés
- Atout : éviter des déclarations spontanées susceptibles d’être retenues contre soi, surtout si les faits sont complexes ou contestés.
- Limite : se priver d’expliquer, contextualiser, ou présenter des éléments atténuants.
De manière générale, il est prudent d’être accompagné lors de l’entretien (représentant du personnel, conseil extérieur, collègue) pour équilibrer la relation et choisir la bonne stratégie.
Conséquences pour les employeurs
Le silence du salarié n’a aucune valeur probante : il ne vaut ni aveu ni reconnaissance des faits. Le respect des formes (convocation régulière, délais, tenue effective de l’entretien) demeure essentiel, car toute irrégularité fragilise la procédure. L’entretien doit rester un moment d’échange, mais sa valeur probatoire ne dépend pas de l’attitude du salarié.
Une différence fondamentale avec le pénal
- Garde à vue : l’État exerce un pouvoir de contrainte pouvant priver de liberté — d’où la notification du droit au silence.
- Droit du travail : rapport contractuel marqué par un lien de subordination, sans privation de liberté au sens constitutionnel.
Cette distinction explique l’absence d’obligation de notifier un « droit de se taire » dans l’entreprise.
Conclusion
Le droit de se taire existe en droit du travail : aucun salarié n’est tenu de s’expliquer lors d’un entretien préalable. Mais l’employeur n’a pas à le notifier — position confirmée en 2025. Au salarié, ensuite, d’arbitrer entre prudence et défense active, selon le dossier et la stratégie choisie.