par Aurélie ARNAUD - Cabinet 2A avocat
Avocat en droit du travail Paris 8
Dans un arrêt du 16 décembre 2020, la Cour d’Appel de Paris rappelle que :
- face à un salarié qui dénonce des faits laissant présumer une situation de harcèlement moral, l’employeur doit diligenter une enquête interne et produire en cas de procédure judiciaire les comptes rendus de l’enquête tout comme indiquer les modalités de conduite de cette enquête.
- l’employeur doit également au vu des éléments produits par le salarié en justice, prouver que les agissements dénoncés par le salarié ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
I- Rappel des règles applicables :
L’employeur est tenu d’une obligation générale de sécurité et de prévention des risques professionnels.
Conformément aux dispositions de l'article L 4121-1 du Code du travail, "l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, d'information et de formation ainsi que la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes".
L'employeur, tenu d'une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise, doit en assurer l'effectivité.
L'employeur étant soumis à une obligation de sécurité de résultat, il doit agir vite pour faire cesser une situation pouvant relever du harcèlement moral notamment.
Ainsi, s'il a eu connaissance de faits laissant présumer des actes de harcèlement moral, il doit immédiatement procéder à une enquête, que ces faits soient ensuite avérés ou non. Cass. Soc. 29 juin 2011, no 09-70.902; Cass. Soc. 3 février 2010 n°08-40144
L’obligation de diligenter une enquête trouve son origine dans l’Accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 sur le harcèlement et la violence au travail dont l’article 4 dispose que « les plaintes doivent être suivies d’enquête ». Elle participe des « mesures immédiates » propres à faire cesser le harcèlement. Cass. Soc. 1er juin 2016, n°14-19702
L’article 4 de l’ANI prévoit expressément : « Les plaintes doivent être suivies d’enquêtes et traitées sans retard ».
La Cour de Cassation rappelle :
- Manque à son obligation de prévention l’employeur qui malgré la demande du salarié s’estimant victime de harcèlement moral ne met en place aucune enquête, Cass. Soc. 7 avril 2016 n°14-23705
- Commet une abstention fautive l’employeur qui n’initie pas une enquête interne, ce qui aurait permis d’avoir une connaissance exacte des faits. Cass. Soc. 29 juin 2011, n°09-70902
Les juges du fond précisent que le seul fait d’avoir eu un ou plusieurs entretiens avec le salarié victime ne peut suppléer l’absence d’enquête.
CA Nancy, 14 septembre 2007, n°06/02583
CA Paris, 19 juin 2019, n°16/13302 : le fait que l’employeur ne mette en place aucune enquête participe au harcèlement dénoncé,
CA Douai 28 février 2019, n°17/05008 : l’employeur ne peut se contenter d’organiser un seul ou deux entretiens avec le salarié qui s’est plaint à plusieurs reprises de harcèlement moral, se bornant à mettre en doute la véracité des allégations sans diligenter une enquête.
Ainsi, l’obligation de conduire une enquête s’impose.
Est posé par les juges le principe que « l’obligation de prévention des risques professionnels », qui résulte des articles L 4121-1 et L 4121-2 du Code du travail, « est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral institué par l’article L 1152-1 du Code du travail et ne se confond pas avec elle ».
Cass. Soc. 6 décembre 2017, n°16-10889
Cass. Soc. 27 novembre 2019, n°18-10551
Cass. Soc. 8 juillet 2020, n°18-24320
Ainsi, dans l'arrêt du 27 novembre 2019, la Cour de Cassation rappelle que manque à son obligation de sécurité l’employeur qui ne prend aucune mesure et n’ordonne pas d’enquête interne après qu’un salarié a dénoncé des agissements de harcèlement moral, que ces agissements soient établis ou non.
Cass. Soc. 27 novembre 2019, n°18-10551
II- Faits de l’espèce:
Dans l’arrêt du 16 décembre 2020 rendu par la Cour d’Appel de Paris (Pôle 6-Chambre 10, RG 18/09314), la salariée faisait valoir que:
- sa supérieure lui faisait des réflexions humiliantes et vexatoires, fondées notamment sur sa pratique religieuse,
- les dossiers qu'elle gérait avaient été réattribués de manière pérenne à d'autres salariés en son absence pendant ses arrêts,
- elle ne figurait plus sur l'organigramme de l'équipe de production ni sur le booklet de la société,
- elle avait averti plusieurs fois l'employeur sans que celui-ci ne prenne de mesure.
La Cour a alors considéré que la matérialité de ces faits était établie au regard des pièces produites et notamment des attestations concordantes des collègues de la salariée que cette dernière versait aux débats. La Cour a jugé que ces faits permettaient de présumer l'existence d'un harcèlement moral.
Or, la Cour relève que de son côté, l'employeur ne produit aucun rapport ni compte-rendu d’enquête.
L'employeur ne justifie pas non plus les faits dénoncés par la salariée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
La Cour en conclut que les faits de harcèlement moral dont a été victime la salariée constituent un manquement grave de l'employeur à ses obligations qui justifie à lui seul la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur. Cette résiliation a les effets d'un licenciement nul.
Ainsi, la salariée s’est vue attribuer des dommages et intérêts pour licenciement nul et une indemnité compensatrice de préavis notamment.
Arrêt du 16 décembre 2020 rendu par la Cour d’Appel de Paris (Pôle 6-Chambre 10, RG 18/09314),