Validité et effets pour les salariés de la clause de neutralité dans le règlement intérieur

Publié le :

par Aurélie ARNAUD - Cabinet 2A avocat
Avocat en droit du travail Paris

Validité et effets pour les salariés de la clause de neutralité dans le règlement intérieur
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La clause de neutralité dans le règlement intérieur d'une société est un outil juridique permettant à l'employeur de restreindre l'expression des convictions religieuses, politiques ou philosophiques des salariés sur le lieu de travail. Toutefois, son insertion et son application sont strictement encadrées par le droit français et européen afin de garantir le respect des libertés fondamentales des salariés et d'éviter toute discrimination.

1. Conditions de validité de la clause de neutralité


1.1 Inscription dans le règlement intérieur ou une note de service équivalente

Pour être valide, une clause de neutralité doit impérativement être inscrite dans le règlement intérieur de l'entreprise ou dans une note de service. Cette exigence découle de l'article L. 1321-2-1 du Code du travail, qui autorise l'employeur à restreindre la manifestation des convictions des salariés à condition que ces restrictions soient justifiées par :

• L'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ;

• Les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise ;

• Et qu'elles soient proportionnées au but recherché.

1.2 Application générale et indifférenciée

La clause de neutralité doit être appliquée de manière générale et indifférenciée à tous les salariés concernés, sans distinction fondée sur une conviction particulière. Elle ne peut viser uniquement les convictions religieuses ou une religion spécifique. Par exemple, une clause interdisant uniquement les signes religieux ostentatoires serait discriminatoire.

1.3 Limitation aux salariés en contact avec la clientèle

La clause de neutralité est généralement limitée aux salariés en contact avec la clientèle, lorsque l'objectif est de préserver l'image de neutralité de l'entreprise. Cette restriction doit être strictement nécessaire et proportionnée au but recherché.

1.4 Respect des procédures d'adoption et de publicité

L'insertion d'une clause de neutralité dans le règlement intérieur nécessite le respect des procédures prévues par le Code du travail, notamment : • La consultation des représentants du personnel ; • La communication à l'inspection du travail ; • Le dépôt au greffe du Conseil de prud’hommes et l’affichage dans l’entreprise.

2. Effets juridiques de la clause de neutralité


2.1 Justification des restrictions à la liberté religieuse

Une clause de neutralité valide permet à l'employeur de restreindre la liberté religieuse des salariés, à condition que ces restrictions soient justifiées par une exigence professionnelle essentielle et déterminante. Par exemple, dans l'affaire Micropole, la Cour de cassation a jugé qu'une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe religieux était justifiée dès lors qu'elle était inscrite dans le règlement intérieur et appliquée de manière générale et indifférenciée.

2.2 Prévention des discriminations directes et indirectes

En l'absence d'une clause de neutralité, toute restriction à la liberté religieuse risque d'être qualifiée de discrimination directe ou indirecte. Par exemple, l'interdiction faite à une salariée de porter un foulard islamique sans clause de neutralité a été jugée discriminatoire par la Cour de cassation (Cass. soc. 14-4-2021 n° 19-24.07 ).

2.3. Obligation de reclassement

En cas de refus d'un salarié de se conformer à une clause de neutralité, l'employeur doit rechercher si un reclassement est possible, par exemple en proposant un poste sans contact avec la clientèle. Cette obligation vise à limiter les atteintes aux libertés individuelles des salariés.

3. Limites et contrôle juridictionnel


3.1 Proportionnalité et nécessité

Les restrictions imposées par une clause de neutralité doivent être proportionnées au but recherché. Le juge exerce un contrôle strict sur cette proportionnalité, en vérifiant notamment si l'objectif poursuivi par l'employeur est légitime et si les moyens utilisés sont appropriés et nécessaires.

3.2 Interdiction des considérations subjectives

Les restrictions ne peuvent être fondées sur des considérations subjectives, telles que les préférences des clients.

Dans un arrêt récent, la Cour d'Appel de Paris a jugé que la clause du règlement intérieur de l’employeur, magasin de prêt-à-porter, qui dispose que « dans un souci de neutralité et pour ne pas heurter la sensibilité de la clientèle, le personnel en contact avec la clientèle ou les fournisseurs ne doit pas manifester, à titre individuel ou collectif, d’opinions à caractère politique, religieux ou philosophique, est générale et indifférenciée puisqu’elle interdit toute manifestation d’opinions qu’elles soient politiques, religieuses ou philosophiques, et est justifiée par l’exercice d’autres libertés, à savoir le respect de la sensibilité de la clientèle, et ne concerne que le personnel en contact avec la clientèle et les fournisseurs.

Si la salariée, licenciée pour avoir refusé d’ôter un turban, admet que le port d’un turban était une manifestation du fait religieux puisqu’elle invoque dans ses conclusions le principe de la liberté religieuse, l’employeur admet que la responsable du magasin portait un pendentif en forme de croix, manifestement visible puisque la salariée lui en a fait la remarque, alors que, compte tenu de ses fonctions, elle était nécessairement en contact avec la clientèle. L’employeur ne justifiant par aucun élément objectif en quoi le port de cette croix ne constituait pas, au même titre que le turban, une manifestation d’opinion religieuse, l’interdiction faite à la salariée de porter un turban caractérise l’existence d’une discrimination directement fondée sur ses convictions religieuses, rendant le licenciement nul (CA Paris 12-9-2024 no 21/07734).

3.3 Risque de discrimination indirecte

Même en présence d'une clause de neutralité, une discrimination indirecte peut être constatée si la restriction désavantage particulièrement une catégorie de salariés, sauf si elle est justifiée par un objectif légitime et proportionnée.

Conclusion


La clause de neutralité dans le règlement intérieur d'une société constitue un outil juridique puissant pour encadrer l'expression des convictions des salariés, mais son utilisation est strictement encadrée par le droit. Elle doit être inscrite dans le règlement intérieur, appliquée de manière générale et indifférenciée, et respecter les principes de proportionnalité et de nécessité. En l'absence de ces conditions, toute restriction risque d'être qualifiée de discrimination, exposant l'employeur à des sanctions.

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